par Frédéric Lefebvre-Naré
Dans mon souvenir, la première fois que je suis entré dans un bureau de vote, c'était le 11 mars 1973, j'avais juste 7 ans.
C'était un second tour de législatives. Le centre avait pris une claque avec 15% au premier tour, mais je n'en savais rien, je ne connaissais rien à la politique.
J'ai vu les affiches des deux candidats, elles parlait de "gauche" et de "droite", alors j'ai demandé ce que ça signifiait à l'adulte que j'accompagnais. Sa réponse, si je m'en souviens bien : "la gauche", ce sont ceux qui pensent qu'il faut améliorer les choses ; "la droite", ce sont ceux qui pensent qu'il faut garder les choses comme elles sont.
Le candidat "de droite", Marc Lauriol, l'a emporté sur le sortant "de gauche", Michel Rocard. Celui-ci a été sans doute convaincu par son échec, et celui de son parti le PSU, que le seul chemin pour améliorer les choses était de faire allégeance au parti majoritaire à gauche, le PS de François Mitterrand. Il l'a sans doute beaucoup regretté, ne serait-ce qu'en 1979, en 1980, en 1981, n 1988, en 1991, en 2006, et encore en 2016.
Mais jamais il n'a renoncé à améliorer les choses. Toujours il a poursuivi ce but. Et souvent, comme avec la création du RMI ou la paix en Nouvelle-Calédonie, il y est parvenu.
Adieu, Monsieur Rocard — chapeau bas.
Michel Rocard pendant la campagne législative, en février 1973 en Bretagne, source Le Télégramme
1 De Frida -
N'oublions pas que c'est auprès de Michel Rocard que Manuel Valls a commencé sa carrière politique.
En 1998, il intègre le cabinet de Michel Rocard, alors Premier ministre, par l'entremise de Jean-Paul Huchon qui en est le directeur. Adjoint de Guy Carcassonne, il est chargé des relations avec l’Assemblée nationale, puis de la jeunesse et de la vie étudiante.
Je comprends bien que Manuel Valls se sente aujourd'hui "orphelin"....
2 De pierre -
Je place Rocard dans mon estime au même niveau que Mendès France. Il réunissait des qualités rares qui sont hélas de plus en plus un handicap lorsqu'on veut réussir en politique : éthique, exigence, loyauté, hauteur de point de vue et vision à long terme. Aujourd'hui nous n'avons de choix qu'entre des nains.
Avec Stéphane Hessel, le collectif Roosevelt perd un de ses fondateurs.
3 De D MARIETTE -
Lui était engagé totalement pour sa classe, la bourgeoisie
« Engagés pour Argenteuil » est un site sérieux de militants d’Argenteuil, mais avec lesquels nous avons des divergences politiques fondamentales. Ses rédacteurs ne sont ni communistes ni révolutionnaires. Et l’enthousiasme qu’ils expriment à l’égard de feu Rocard ne nous surprend pas, à l’égard d’un grand serviteur « moderne » du « sénile » et « vieux » capitalisme. Mais les positions et les engagements des uns et des autres ne nous empêchent pas de discuter.
Ce qui nous a donné envie d’écrire ce commentaire c’est la photo qui illustre l’article que ce site consacre au décès de Rocard et qui date de 1973.
« Face à la justice de classe solidarité populaire »
C’est vrai nous étions encore bien près de Mai 68 et le Parti Socialiste Unifié que dirigeait Rocard en 1973 continuait à cette date à en porter la trace.
Ce parti avait recruté de nombreux jeunes opposés à la guerre d’Algérie après sa fondation en 1960. Mais il regroupait un certain nombre d’anciens SFIO et fut rejoint l’année suivante par l’ex-chef de gouvernement de 1954, Mendès-France. Ces dernières se retrouvèrent au PSU sur la base du refus de l’engagement du Parti socialiste de l’époque à maintenir l’Algérie française.
Pour ma part, c’est en juin 1967 que j’eu ma première activité politique sous la forme de ma première réunion, avec des militants du… PSU, à Argenteuil.
Sur la localité, le PSU était animé par des militants catholiques de « gauche » qui avaient bien des qualités mais qui n’étaient ni communistes ni révolutionnaires eux aussi. D’ailleurs, nous nous fâchâmes, alors que j’avais rejoint Lutte ouvrière après 68 au moment du Programme commun et de l’ascension de leur nouveau « Camarade », Mitterrand, qu’ils avaient rejoint en 1973. Mais c’est eux qui m’avaient entraîné et introduit…
Mai 68 passa effectivement par là. La direction du PSU se gauchisa, parallèlement à celle de la CFDT d’alors. Elle et Rocard se firent les chantre sdu socialisme, de l’autogestion, se référant à « l’exemple yougoslave ».
Ainsi ce gauchissement, le terme de « classe » n’était pour eux alors ni un archaïsme ni un gros mot. Sans que cela ne corresponde à une conviction profonde, celle de s’opposer à la bourgeoisie, en posant la question du renversement de la société, de la prise du pouvoir, et en visant à « éduquer » le monde du travail à la conscience du rôle qu’il a à jouer.
Mai 68 s’éloignant, les discours et les engagements politiques se droitisèrent, leur géométrie variable étant là la marque de fabrique de tous les politiciens. Rocard, bien sûr, n’y échappa pas, en confirmant ce qu’il avait toujours fondamentalement été, lui qui devint le premier ministre de Mitterrand. D. Mariette
4 De Frédéric L.-N. -
@ Frida : oui, une connection de plus entre Argenteuil et Conflans Sainte-Honorine !
@ pierre : occasion de citer Michel Rocard, 2012 : "j’ai la conviction depuis quatre ou cinq ans que nous sommes entrés dans une crise économique et financière mondiale d’une extrême gravité, amplifée par une crise écologique aussi grave qui transforme radicalement les conditions et les moyens de lutte et de protection.
Devant cette situation, les sciences humaines compétentes se sont effondrées et n’ont rien vu venir, les “sachant” se taisent ou à peu près, les politiques paniquent et n’ont pas de solution, les processus de décision en cours n’aboutissent qu’à des mesures mineures. Cela aggrave plutôt les choses.
Il est donc de première importance et de première urgence de mettre en question et de diffuser dans le public le savoir et l’information sur les crises, d’imaginer et de préciser des réponses pragmatiques puissantes et non dogmatiques à ces menaces, et enfin de pousser les pouvoirs publics à décider avec audace en se passant du consensus du monde bancaire qui nous a amenés à cette crise."
@ D.MARIETTE : on savait que le PSU avait été un point de départ pour le militantisme de beaucoup, mais même à LO, j'ignorais ! Par ailleurs je me souviens bien de l'époque "pro-yougoslave" du PSU, je me demandais à l'époque si Rocard (passé entre temps au PS) pouvait y croire sérieusement, et je me disais quelque chose comme "quand je serai grand j'irais bien voir en Yougoslavie si l'autogestion ça marche"…
5 De bernard -
@ D MARIETTE
Malheureusement, nous ne sommes plus en mai 68, en 1973 ou du temps du PSU
Notre société actuelle est confrontée à la mondalisation avec une finance sauvage et débridée, au terrorisme, à une immigration économique et de réfugiès de guerre sans commune mesure avec celles que notre pays avait connu par le passé (italienne, nord africaine...)
Avec ces 5 millions de demandeurs d'emplois et une paupérisation de sa population en augmentation, comment notre pays pourra et devra s'en sortir ?
Nous pouvons faire payer les riches mais après avoir payé et être partis, que le pactole sera épuisé, nous faisons quoi ?
Nous pouvons aussi faire la révolution pour aller où et surtout vers quoi ?
Nous pouvons aussi quitter l'Europe, sortir de l'Euro et cadenasser nos frontières.
Michel Rocard, homme de conviction, tout comme François Bayrou et plus modestement votre serviteur, était conscient des dangers qui guettent notre pays.
Il était de cette Gauche sociale qui crée le RMI pour les plus démunis
Il était de cette Gauche qui agit dans l'intérêt commun en finançant en partie notre Protection Sociale par une contribution sur tous les revenus.
Il était de cette Gauche réaliste qui affirme que notre pays ne peut pas accueillir toute la misère du monde mais que nous devons y contribuer.
Il était social démocrate.
Notre pays est un grand pays, nous avons les ressources humaines et les moyens financiers pour l'amener là ou nous voudrons l'amener.
Mais pour réussir, notre pays devra se réformer, accepter le monde tel qu'il est aujourd'hui tout en portant une autre voix.
Sortons du sectarisme, du dogmatisme, de la lutte des classes et surtout du déni.
Pour moi, c'est essentiellement sur ces points que nous avons des "divergences politiques fondamentales"