Les emprunts structurés (ou toxiques) : environ 100 millions dépensés pour rien, à l'ordre du jour du Conseil

par Frédéric Lefebvre-Naré

3. Rapport de la mission spéciale sur les emprunts de la Ville

Le maire rappelle que "11 collègues" (14 en fait) ont demandé cette mission qui s'est déroulée dans un "climat cordial" et "remercie les services de la Ville pour leur concours".

Pierre Abrinas, rapporteur de cette mission, en rend compte, commençant par rappeler la liste des membres, dont pour l'opposition Fabien Bénédic et moi-même. "Il a été établi un rapport de 43pages consultable quand on veut sur l'internet de la Ville" (je ne l'y trouve pas).

"Au pic de la structuration des encours, la part des emprunts structurés était de 25% du total pour les collectivités de moins de 100000 habitants. La solution viendra avec le Fonds de Soutien, près de 2,6 milliards apportés par l'État.''

Les mécanismes des refinancements étant très compliqués, selon M. Abrinas, "évaluer précisément le coût des emprunts s'avère une utopie ; toutes choses égales par ailleurs (sic), il convient de s'intéresser à la dette actuelle qui a été assainie."

"En 2002, on ne connaissait pas les conséquences des emprunts à risque ; en 2008-2009, on les connaissait bien."

Fabien Bénédic (PS) : "j'avais prévu de dénoncer la farce qu'a été cette mission, mais en écoutant M. Abrinas, je vois que le travail est fait ! Les deux représentants de l'opposition n'ont ni cautionné ni voté ce rapport. Cette commission a été une mascarade. Dans votre tribune municipale, vous parlez de transparence !

Nous pourrions avec Frédéric Lefebvre-Naré écrire un contre-rapport qui serait bien plus étayé. Je n'implique pas les services, qui ont fait ce qu'on leur demandait de faire… mais bien votre équipe.

MM. Mothron et Péricat font mine de ne rien comprendre aux emprunts toxiques. Ils avaient toxifié 96% de la dette de la ville, pas 22% ! Mis la situation financière de la ville sur le bord du cratère d'un volcan. Même avec la correction que vous avez demandé, le coût de vos emprunts toxiques arrive à 80 M€, et comme ce résultat ne vous convient pas, vous prétendez qu'il est impossible de conclure.

Nous avons demandé cette commission en septembre, vous avez joué la montre, la première réunion a eu lieu fin janvier. Vous avez demandé au cabinet Finance Active de faire un dossier documentaire sur l'histoire des emprunts … sans lui demander d'aller plus loin ! Frédéric Lefebvre-Naré aura fait le travail sur son macintosh® sans demander un euro à la ville. Vous n'avez jamais répondu à ses demander de travailler de concert avec les services de la Ville ou avec Finance active.

Vous expliquez que l'estimation de Frédéric Lefebvre-Naré doit être corrigée… de 11,7 M€… mais qu'il est impossible de faire le calcul.

La convocation à la dernière commission est envoyée 5 jours avant sans aucun document ni même le compte rendu de la précédente réunion, pourtant fait le 17 mai ! Vous nous avez envoyé le rapport 3 heures avant la dernière réunion, évidemment pour nous empêcher de l'étudier et de proposer des amendements.

Vous avez bidonné un compte-rendu de réunion pour refuser d'auditionner le seul directeur financier qui ait répondu à votre demande, Joël Fournié ! Pour deux autres, vous avez prétendu que vous n'aviez pas leurs coordonnées, alors que l'un est DGS à Persan et l'autre DGS au Blanc-Mesnil, à moins de 20 kilomètres, qui plus est, des villes de la même sensibilité politique, vous pouviez passer un coup de fil au maire ! Joël Fournié n'aime pas être pris pour un abruti, et vous enverra un courrier en ce sens.

Vos écrits dès 2002 montrent que vous étiez conscient des risques que vous preniez, avec des choix financiers qui "tiennent compte du ralentissement de l'économie américaine" : si ce n'est pas de la spéculation !

En 2007, le directeur départemental de Dexia explique avoir 'tenu compte du cahier des charges ambitieux du maire Georges Mothron : ne pas augmenter les impôts' (…). Nous nous réunissons 2 à 3 fois par an avec Xavier Péricat pour discuter des opérations d'arbitrage, de l'ingénierie financière…"

"Vous n'avez même pas souhaité que nous nous entendions sur la seule conclusion sur laquelle nous aurions été d'accord : le travail de renégociations commencé dès 2008."

Franck Debeaud : "Au lieu de la vérité et la transparence, vous jouez le mensonge et la dissimulation. Vous osez même demander dans le magazine municipal : 'la transparence fait-elle peur à certains ?' !!!

Les coûts, nous pouvons les connaître… Vous ne savez pas faire des multiplications, additions et soustractions. La commission dit que le calcul est une utopie ? Non, les membres de la majorité siégeant dans la commission.

J'ai effectué le même calcul pour le syndicat Azur. Ce qui sera payé pour Azur, c'est jusqu'en 2035, 25 M€ ; après aide de l'État, il reste 17 M€ à la charge des habitants d'Argenteuil, Cormeilles, Bezons et la Frette.

Pour le budget de la commune seul, vous dites qu'il faut corriger l'estimation de M. Lefebvre-Naré, ce qui conduirait à 60 M€… mais vous n'écrivez pas ce chiffre et

Je réponds à mon tour :

"Monsieur le Maire,

Vous nous demandez de prendre acte du rapport de la mission spéciale sur les emprunts de la Ville. Ce rapport est un faux, et les comptes-rendus des deux dernières réunions de la mission, qui y figurent, sont des faux.

Je suis désolé que les services de la Ville aient été contraints de se prêter à cette farce. L’engagement professionnel de nos agents aurait mérité plus de respect.

Nous avions demandé la création de cette commission le 25 septembre 2018, donc il y a 9 mois. J’ai reçu le projet de rapport par mail exactement 3 heures et 12 minutes avant la réunion à laquelle il devait être voté, le 18 juin dernier. Et vous avez refusé de nous laisser le temps de lire le rapport en détail pour réagir par écrit.

Ce rapport comprend environ un mensonge par page. Je vous propose que nous rectifiions rapidement les principaux, dans le temps limité de cette intervention, et je publie des explications plus détaillées sur le blog d’Engagés pour Argenteuil.

Il est écrit que vers 2006-2007, « la structuration et la restructuration des encours sont devenues la règle de rentabilité ».

  • Rectifions : « Quelques collectivités dont Argenteuil ont prétendu à leurs électeurs que la structuration et la restructuration des encours devenaient la règle de rentabilité ».
  • (version longue sur en exclusivité sur ce blog : ) La ville d’Argenteuil a été pratiquement la seule des grandes villes à restructurer ses encours de dettes, c’est-à-dire à remplacer la quasi-totalité ses emprunts antérieurs (y compris un emprunt indexé sur le livret A !) par de nouveaux emprunts « structurés ». Les deux cabinets spécialisés, Michel Klopfer et Finance Active, déconseillaient très clairement aux villes de s’engager dans ce type d’emprunts.

Il est écrit : « Dexia et la Caisse d’Épargne ont dirigé les emprunteurs vers des produits plus risqués mais dont le risque n’était pas avéré. »

  • Rectifions : « Dexia et la Caisse d’Épargne ont dirigé les emprunteurs vers des produits plus risqués. »
  • L’idée de « risque non avéré » est l’erreur centrale de ce rapport. Si vous êtes assureur et que vous assurez des usines contre le risque d’incendie, quand est-ce que ce risque est « avéré » ? À mon avis, le risque est avéré dès que vous savez que l’usine stocke des produits inflammables, au point vous la faites payer pour ça. Or c’est précisément ce que faisait la ville, elle servait d’assureur à des spéculateurs financiers ; l’assurance que payaient les spéculateurs, c’est ce que M. Péricat se vantait de faire rentrer dans les caisses de la Ville.
  • De nombreuses autres phrases du rapport sont contraires à la réalité des emprunts structurés, alors que douze à quinze ans se sont écoulés depuis que vous les avez souscrits. À l’époque, celle de la campagne municipale 2007-2008, la liste du MoDem avait déjà dénoncé ces contrats dits « structurés », de même que le contrat Spie Autocité, comme des engagements hors bilan qui venaient plomber la dette réelle de la ville, et qui allaient interdire à la Ville de baisser les impôts comme vous le promettiez.

Il est écrit sur les années 2016 : « La désensibilisation des encours risqués aboutit par la suite grâce à l’aide apportée par le Fonds de Soutien. » La désensibilisation des encours risqués, en français c’est la sortie des emprunts toxiques.

  • Rectifions donc : « La désensibilisation des encours risqués n’aboutit pas, malgré l’aide apportée par le Fonds de Soutien. »
  • Vous jugerez vous-même sur le graphique issu du rapport (je le publierai plus tard ;-) ) où apparaît cette partie « noire » qui est censée constituer selon le rapport (« La désensibilisation des encours risqués (disparition totale de la partie noire) aboutit par la suite grâce à l’aide apportée par le Fonds de Soutien. ») les « encours risqués ». Juste en-dessous du noir, il y a du rouge avec la légende « risque marqué », qui n’a pas disparu, et sur lequel la Municipalité actuelle n’a jamais annoncé demander ou obtenir l’aide du Fonds de Soutien, qui était fait pour ça.

Plus loin : « Le recours aux produits structurés avait pour principal objectif d’alléger la charge d’intérêts de la dette, » soit, mais c’est tronqué au point d’être faux.

  • Complétons : « Le recours aux produits structurés avait pour principal objectif d’alléger la charge d’intérêts de la dette à court terme au prix d’un risque constamment croissant d’intérêts très élevés à moyen et long terme. »
  • ""Si le risque que l’équipe Mothron-Péricat a fait assurer par la Ville était un risque d’incendie (comparaison donnée plus haut), la phrase du rapport serait exacte : la Ville aurait fait des économies sur les intérêts en prenant un risque. Mais la nature des risques sur les marchés financiers est différente de la nature d’un risque d’incendie. La Ville pariait sur le niveau d’un indice, par exemple le taux de change entre yen et dollar, qui devait rester au-dessous d’un certain seuil. À court terme, le taux de change est connu et loin du seuil, le risque est quasi-nul. Mais plus le temps passe, plus le taux peut s’éloigner, petit à petit, du niveau initial, donc, plus il risque de passer le seuil fatal[1]. C’était l’héritage empoisonné que l’équipe Mothron-Péricat laissait à ses successeurs.''

Plus loin, il est écrit des intérêts que la Ville paye actuellement : « un taux moyen de 3,50%, s’il est élevé en comparaison du contexte actuel, n’est objectivement pas une situation préoccupante. »

  • Rectifions : « un taux moyen de 3,50% est élevé en comparaison du contexte actuel et est objectivement une situation préoccupante, même si le passage à des taux fixes a écarté le risque de faillite pure et simple de la Ville ».
  • Comment ne pas trouver « objectivement préoccupant » que la Ville paye en pure perte, aujourd’hui et dans chacune des années à venir, 3 à 4 millions de surcoût aux banques ?

En conclusion, le rapport dit qu’ « il n’est pas possible de dire simplement « Et si nous n’avions souscrit aucun produit structuré, et si nous n’avions fait que des emprunts à taux fixe depuis 2002, combien cela aurait-il coûté en comparaison de ce qui a été payé ? ».

  • Rectifions : « Il est possible » de poser cette question simple. C’est tellement possible que c’est la méthode que la mission avait adoptée. Mais 3 heures 12 minutes avant la dernière réunion, le possible est devenu « impossible ».

A vrai dire, dès de la deuxième réunion, vous aviez commencé à noyer le poisson et j’avais compris que je devrais prendre mes responsabilités, produire moi-même des estimations du coût global pour amener la mission à en discuter au lieu de tourner autour du pot.

Je suis donc reparti de zéro et des comptes de la Ville depuis 2002, et j’ai ressaisi les éléments : 148 emprunts différents, 104 refinancements, 1366 annuités de dette, ça a peut-être l’air beaucoup mais ce n’étaient que quelques journées de travail, pas grand chose à l’échelle de la durée de cette affaire et des montants en jeu.

J’ai donc fait les totaux : 93 millions d’€ de surcoût pour la seule dette de la Ville (hors agglo et hors Azur), dont 21 millions sont pris en charge par l’État, donc 72 millions à la charge du contribuable argenteuillais.

Ce je n’avais pas imaginé, c’est que, même en faisant ces totaux et en proposant de fournir à la Ville l’ensemble du détail des calculs, vous continueriez à noyer le poisson, et que vous enverriez, 3h12 avant la dernière réunion de la mission, ce rapport qui refuse de conclure sur le coût global.

Vous y écrivez pourtant que mon estimation surévalue les indemnités de 11,7 M€, et que concernant les suppléments d’intérêts qui nous reste à payer, mon estimation « paraît élevée », entre guillemets, le tout sans justification chiffrée.

Je crois avoir sous-évalué certains coûts, par prudence, plutôt que de les sur-évaluer.

Mais admettons qu’il y ait 11,7 M€, ou 12 M€ de « surévaluation », il aurait suffi que la mission fasse la soustraction. Je vous ai proposé de le faire et d’écrire dans le rapport que le surcoût des emprunts toxiques de la Ville est d’environ 81 M€, dont environ 60 millions à la charge du contribuable argenteuillais.. Vous et vos trois adjoints présents, Monsieur le Maire, vous avez refusé de le faire, et au contraire vous avez voté un rapport où vous avez écrit que les évolutions du contexte rendent « impossible une estimation du coût réel de la dette et de sa restructuration sur la période 2002–2018 ». C’est la soustraction impossible. 93 moins 12 n’égale pas 81.

Ce qui est impossible, c’est que vous assumiez le bilan de vos mandats.

Ce qui est impossible pour vous, c’est de reconnaître que votre décision de souscrire ce type d’emprunts nous aura coûté aux contribuables argenteuillais de l’ordre de 100 millions d’euros (du fait de la Ville, d’Azur et l’agglomération, où vous étiez décisionnaire aussi, et pour laquelle le calcul reste à faire, nous avons demandé les comptes au Préfet). 100 millions à payer par nous, plus environ 40 millions à payer par l’ensemble des contribuables français.

Certains imaginent que la finance, la dette, c’est loin de la vie quotidienne, alors soyons concret : avec 100 millions, nous aurions pu construire trois écoles primaires, trois écoles maternelles, trois centres de loisirs, une nouvelle piscine, et une nouvelle salle Jean Vilar. Publique, municipale.

100 millions de coulage, c’est un niveau inégalé dans l’histoire d’Argenteuil. Aucune équipe municipale n’a laissé un bilan aussi catastrophique. Vous avez pulvérisé à vous seul le total des mauvaises décisions que vous attribuez à vos différents prédécesseurs. Et c’est la seule bonne nouvelle que vous laissez à vos successeurs : aussi mauvais soient-ils, ils feront certainement moins de dégâts.

J’en conscient, ce bilan, aussi lourd soit-il, provient d’une unique décision ; tout le monde (moi compris évidemment), dans ses différentes responsabilités, peut prendre une décision aux conséquences catastrophiques.

La différence entre responsabilité et irresponsabilité, elle se juge à la capacité à assumer ses décisions.

C’est ce que nous espérions en demandant cette mission. Nous espérions que tout le monde accepte de faire enfin la clarté sur le passé, d’en tirer les leçons, pour qu’un minimum de confiance puisse revenir entre nos concitoyens et l’ensemble de leurs élus quelle que soit leur étiquette et leur mandat.

Vous l’avez refusé, et vous osez habiller cette dissimulation, cette suite de mensonges, des mots de « clarté » et de « transparence ».

Vous ne méritez plus, Messieurs et Madame qui avez voté ce rapport en commission, la confiance des Argenteuillais.

Vous avez pourtant aujourd’hui une chance de vous rattraper, Monsieur le Maire, en retirant ce rapport et éviter à la Ville d’être l’auteur d’un faux. Vous pouvez et vous devez, Mesdames et Messieurs les Conseillers, chers collègues, rejeter ce rapport en l’état, demander à la commission spéciale de revoir sa copie, dans le temps qui lui reste, c’est-à-dire lui demander de remplir la mission que vous lui aviez confiée."

M. Mothron : "Je nie que ce rapport soit un faux. Si vous le croyez, attaquez en justice ! Je ne nie pas que nous ayons pris des emprunts structurés. Nous en avons pris. Quant aux plus toxiques, les '6F', vous verrez que 5 ont été pris sous notre mandat, et à partir de 2008, 5 autres" (mais le montant total baissait !). "Je ne botte pas en touche !" (rire général dans l'opposition).

Le maire refuse de mettre aux voix l'approbation du rapport puisque le Conseil doit seulement en "prendre acte" … bizarre. Il en prend acte sans en prendre acte.

J'appelle le Maire à publier sur le site de la Ville les enregistrements de la commission, ce qui permettra à chacun de constater que les comptes-rendus sont des faux.

Notes

[1] Certes, plus le temps passe, plus le taux peut aussi dériver petit à petit dans la direction favorable, en s’éloignant du seuil fatal. C’est ce qui s’est passé pour certains de nos emprunts. Mais pour que le risque augmente au fil du temps, il suffit que la moitié des emprunts dérive dans le mauvais sens. Car le passage du seuil entraîne, non pas une petite augmentation, mais une multiplication par 5 souvent, par 10 au maximum, du coût du prêt.

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