par Frédéric Lefebvre-Naré
Ce 5 décembre, comme chaque année, la Ville d’Argenteuil participe à la « Journée nationale d’hommage aux morts pour la France pendant la guerre d’Algérie et les combats de Tunisie et du Maroc 1952/1962 ».
Faisant mémoire de ces années de déchirements et de violence, inclinons-nous, dans le même mouvement, devant le sacrifice de celles et ceux qui combattaient pour l’indépendance de leurs pays. Elles et eux aussi étaient de la France et de ses « protectorats » ; elles et eux aussi partageaient une certaine idée de la France, de son combat révolutionnaire pour l’émancipation et la liberté, des droits humains qu’elle promeut, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Elles et eux aussi sont tombés victimes de l’affreuse contradiction entre les idéaux fondateurs de la République et la violence, inégale et incivique, de la colonisation.
Le devoir de mémoire ne se limite pas à l’effectif de nos Armées. C’est aussi, et surtout, le devoir de transmettre aux générations qui nous suivent l’héritage, heureux comme tragique, des générations qui nous ont précédés.
Graffiti sur les murs de Nanterre, rue Saint-Quentin, photographié le 7 novembre 2004 par Liedwin van de Ven, datant de la fin des années 1950. Exposé en novembre 2019 à « Trésors de Banlieues » à Gennevilliers.
1 De FrédéricLN -
Complément en réponse à des remarques qui m'ont été faites sur "les appelés français (qui) ont refusés de partir, (à) l’exemple de Roger Ouvrard", "les Français d’origine algérienne qui refusaient d’aller combattre y compris des militaires sous les drapeaux qui ont été traduits devant les tribunaux militaires" ; selon une autre remarque, "les appelés avaient la liberté de dire non !".
Ils ne l'avaient pas (ou ils allaient en prison, ce qui n'est pas la définition de la liberté).
Je tire (toujours) mon chapeau à Roger Ouvrard pour sa clairvoyance et son courage au moment où il a été appelé à partir en Algérie. Et bien entendu, parmi ceux qui se sont battus pour la liberté et l'indépendance, auxquels nous devons rendre hommage, il y avait des "Européens" selon le terme de l'époque, dont Maurice Audin. Le président Macron vient de reconnaître la responsabilité de l'État dans sa mort : j'espère que la Ville d'Argenteuil lui rendra spécialement hommage, et mettra à jour la plaque à sa mémoire dans le parc qui porte son nom.
Il y a peut-être une incompréhension sur le sens des "hommages aux morts pour la France".
Il ne s'agit pas de les considérer comme des héros (même si le président Macron emploie facilement ce mot dans ce sens, tout récemment pour les 13 militaires tués au Mali).
Il s'agit de nous reconnaître (comme autorités publiques, comme élus de la République dans mon cas, comme simples citoyens pour celles et ceux qui le veulent) héritiers d'un État qui, comme tout État, au nom du monopole de la violence, a envoyé à des combats mortels des millions de ses fils et de ses filles — que ce soit en 14-18, en Algérie, ou au Mali.
Autant d'hommes et de femmes qui n'auront pas eu de part à l'héritage (bon ou mauvais) que les combats où ils étaient engagés ont contribué à construire.
En nous inclinant devant leur mémoire, nous, comme autorités publiques, élus ou citoyens, ravivons en nous-même la conscience de notre responsabilité : la guerre est une horreur, les fauteurs de guerre sont des criminels, envoyer des personnes au combat est un choix tragique.
Bien sûr, s'incliner dans le même mouvement, comme je pense devoir le faire, devant la mémoire des combattant·e·s de l'indépendance, va un peu au-delà : elles et eux n'obéissaient évidemment pas aux ordres des chefs militaires et politiques français.
Mais la responsabilité de la France comme État est engagée dans leur mort aussi, qu'ils aient été tués par les balles de troupes françaises, dans des règlements de compte fratricides, par accidents,… tous ont été victimes d'une guerre qu'ils auraient voulu éviter, qui leur a été imposée par le colonialisme français.
Parmi ces morts, il y a toujours, dans tous les camps, des héros de guerre, des criminels de guerre, et d'autres. Le malheur est la guerre elle-même.