"Journée du Vivre Ensemble" de l'OL 95 et du Grand Orient, live

par Frédéric Lefebvre-Naré

L'Observatoire de la Laïcité du Val d'Oise et le Grand Orient de France organisent ce soir 20h, à l'auditorium de l'Hôtel de Ville d'Argenteuil, à l'invitation du Maire, une conférence à plusieurs voix :

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Après inscription sur le site web (en raison de la place restreinte, indiquait l'Observatoire), confirmation de l'inscription reçue par mail, contrôle d'identité à l'entrée, me voici dans la salle du Conseil. Nous y sommes une quarantaine à 20h15, alors que, me dit ma voisine, des personnes ont été refusées faute de place. Nous attendons donc les foules qui doivent être massées à l'extérieur !

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En attendant le début des débats, deux réflexions personnelles : la laïcité est une valeur essentielle à Argenteuil. Bien enracinée depuis un siècle et bien plus. C'est heureux que les Maires successifs s'en soient saisis. Et ce n'est pas surprenant que les membres, non-Argenteuillais à ma connaissance, de l'Observatoire de la Laïcité du Val d'Oise, se saisissent régulièrement de l'actualité argenteuillaise, ou organisent chez nous cette réunion.

Il fait tout de même bizarre, pour un Argenteuillais, de lire "première journée du Vivre Ensemble" alors que la précédente Municipalité en avait organisé deux (si mon souvenir est bon), avec la participation des différents lieux de culte, qui ouvraient leurs portes aux curieux ! J'avais découvert la synagogue à cette occasion, avec une passionnante conférence du rabbin Serfati sur les dialogues judéo-musulman et judéo-chrétien. (De mémoire : "les chrétiens sont devenus les meilleurs amis des Juifs", une blague sur la blague séfarade "les Ashkénazes sont les meilleurs amis des Juifs").

Entrée de M. le Maire, laissons là les réflexions préliminaires.

Laurence Marchand, présidente de l'Observatoire, ouvre la séance, devant environ 80 personnes :

L'association, créée en 2010, "travaille sur la question de la laïcité dans le Département, et travaille énormément sur Argenteuil, encore plus ces derniers temps avec Georges Mothron. La loge "la Table d'Émeraude" du Grand Orient, à Argenteuil, après les attentats contre Charlie Hebdo, a souhaité organiser cet événement." "Georges Mothron, à ma droite, un grand nombre de ses adjoints sont présents".

"Patrick est responsable de la commission Laïcité au sein de l'Association des Maires de France.

Isabellle Kersimon a écrit le livre "Islamophobie, la contre-enquête", et étudié 10 ans de statistiques sur l'islamophobie. Elle est aussi spécialiste de l'islamisme.

Jean-Christophe Poulet, maire de Bessancourt et président de l'École de la Seconde Chance (sic), parlera de la manière de parler de la laïcité aux jeunes.

Céline Rigo, du syndicat UNSA, est professeur d'Histoire-Géo dans la région de Lille.

Georges Sérignac était jusqu'à l'année dernière président de la Région Ile-de-France du Grand Orient et a présidé le Convent.

Je laisse la parole à Georges Mothron qui va nous accueillir".

Georges Mothron : "Je vais me lever, j'ai préparé une antisèche, Argenteuil, vous l'avez dit a été parfois citée, j'aurais préféré que ce ne soit pas le cas."

"L'organisation de ce débat en Mairie d'Argenteuil est symbolique, chacun le comprend, au regard d'une actualité récente. J'espère des débats apaisés et en même temps exigeants, qui se concrétiseront par des propositions.

La laïcité ne se décrète pas, elle se vit et se défend. Ce principe guide mon action et celle de mon équipe depuis le printemps 2014.

La laïcité ne va plus de soi. Force est de constater que la précédente Municipalité avait une conception à géométrie variable de la laïcité, la presse a largement stigmatisé ces écarts, pour ne pas dire dérapages. Elle a ouvert une boîte de Pandore qu'il nous est difficile de refermer.

Pourtant la situation évolue positivement, nous ne transigerons pas, nous ne reculerons pas, nous continuerons de traiter de manière égale tous les cultes.

J'ai Argenteuil chevillée au corps, j'y suis né.

Mon éclairage et ma vision de la pratique de la laïcité : elle fait partie de notre socle commun et contribue au bien vivre ensemble, mais ce principe est parfois difficile à faire vivre, pour les élus locaux. Les représentants des cultes sont des relais primordiaux avec lesquels nous tissons des liens de confiance réciproque. Ils contribuent au bien-vivre ensemble. Tout Maire peut engager avec eux un dialogue constructif.

Des difficultés persistent. Des citoyens pour qui leur foi fait leur seule identité, pour qui le moindre refus d'entorse au principe de laïcité est vécu comme une agression personnelle… (…) Les obstacles qu'il nous faut franchir sont aussi réels que sensibles, ils s'intensifient. Les événements de 2015 ont été l'occasion d'âpres débats et interrogations autour de la laïcité. Ils ont mis la laïcité au coeur de la vie politique, médiatique, et de fait, locale. Une grave crise couve sur notre territoire. La laïcité est une réponse à celle-ci.

On brûle des églises, on saccage des mosquées, … , on tue des innocents. L'athéisme officiel de la Russie a cédé la place à une Église orthodoxe omniprésente. Le cadre juridique est mis à mal. Dans les Mairies, crèches, entreprises, hôpitaux, piscines, le principe général de la laïcité est confronté à des difficultés d'application pratique. Notre communauté nationale ne saurait tolérer" une non-application de la laïcité.

Pour conclure, la laïcité ne saurait être la religion de ceux qui n'en ont pas ; ne saurait être une arme contre les religions ; ne saurait être brandie contre une religion, la religion musulmane par exemple.

Elle doit permettre de ne pas voir la seule religion constituer la base de développement de nos enfants, de nos compatriotes.

C'est le plus sûr moyen de rejeter les amalgames. Liberté, égalité, fraternité et laïcité."

Laurence Marchand : Isabelle Kersimon "va nous expliquer pourquoi la France n'est pas islamophobe".

Isabelle Kersimon : "mon parti pris méthodologique est en rupture avec la tradition de la laïcité. Il s'agit d'une analyse du discours de ceux qui parlent d'islamophobie. Depuis la fameuse affaire du salon de Pontoise, j'observe une frénésie et une confusion. En 2009, il m'était impossible de publier des articles sur ce que recouvrait précisément ce concept d'islamophobie, impossible de mettre en doute les chiffres du Collectif Contre l'Islamophobie en France (CCIF) : c'était 'tabou', 'trop sensible', ce qui m'a décidé à travailler sur un essai. Celui-ci a eu très peu de recensions, cela reste un sujet qui fait peur, peur de prendre le risque de blesser nos compatriotes musulmans.

Le CCIF est maintenant, heureusement, objet de débat, mais parfois plus d'un buzz que de réflexion.

Des experts tout à fait sérieux travaillent sur ces sujets : il faut s'en tenir aux faits, pas à de grandes idées générales. Je crains que le grand public mésinterprète certains discours.

Aux mots "vivre ensemble", je préfère "cohésion républicaine".

Je crains que des musulmans ne finissent par trouver à l'islam politique des vertus apaisantes.

Quand j'entends dire que tous nos politiques sont pourris, compromis avec le communautarisme… certains, trop ; mais ce n'est pas le cas général."

Je crains que "la fragmentation de notre société en communautés" ne conduise à "une guerre de tous contre tous".

J'ai éprouvé une colère en voyant comment Najat Vallaud-Belkacem a été attaquée sur Facebook, montrée voilée, dénoncée comme islamiste cachée au gouvernement… c'est abominable.

La France n'est pas islamophobe et ne l'a jamais été.

Une partie de l'extrême-gauche brandit le temps des croisades ou de la colonisation comme preuve d'une haine ontologique de la France à l'égard de l'islam. Il est grand temps de dépassionner les débats, de déconstruire cette articulation fondamentale et nocive, le concept d'islamophobie.

L'Organisation des États Islamiques OCI, auteur de sa propre Déclaration des droits : je pose la question, cela exclut-il les musulmans des droits universels ?

Le droit à la liberté d'expression est considéré comme islamophobe par tous ceux qui défendent ce concept… L'OCI a oeuvré au plan international à faire valoir une notion de "diffamation contre les religions", qui a été finalement abandonnée.

On respecte les personnes, pas les symboles religieux.

Le désaccord avec la religion islamique n'est pas du racisme.

Abdennour Bidar demandait aux musulmans, 5 jours après Charlie : 'd'où viennent les crimes de ce prétendu État islamique ? De toi-même, de ton propre corps'.

Les musulmans qui aspirent à de nouvelles voies contre leurs pays… c'est du monde musulman lui-même que proviendront les solutions.

'La faute de l'Occident', la question de la maltraitance du monde musulman par les non-musulmans, c'est la question centrale.

Pour l'OCI, le rejet de l'islam est une constante de l'Occident depuis le VIIème siècle[1].

Cette rhétorique d'un vaste complot contre l'islam est très répandue.

Le CCIF traite la France de 'pays le plus islamophobe du monde'.

Ces gens (qui défendent le concept d'islamophobie) pillent, tuent et massacrent des musulmans en terre d'islam. Pour eux, être républicain, c'est être islamophobe.

Les revendications identitaires, voiler les petites filles… provoquent en France des réactions de rejet, ce qui est bien normal. Ce n'est pas un rejet de la foi islamique ; les lois de 2004 ou 2010 ne sont pas des lois d'exception contre les musulmans, la loi de 1905 ne ciblait pas l'islam.

Le CCIF manifeste activement pour l'abolition de ces lois qu'il qualifie d' 'islamophobie d'État'.

J'ai enquêté sur chacun des faits que le CCIF présente comme islamophobes et pour lesquels il est possible de trouver une suite judiciaire. Les conclusions sont claires : les statistiques ne sont pas fiables.

Se sentir exclu en tant que musulman pousse à la radicalisation.

La France punit les personnes qui s'attaquent à autrui en raison de sa religion.

La France ne discrimine pas les musulmans dans ses institutions ou ses entreprises privées.

Sous le califat abbasside, la grande bibliothèque de Bagdad nous a transmis la pensée grecque antique. Des chrétiens, musulmans et Juifs y travaillaient ensemble, pour notre propre renaissance."

Jean-Christophe Poulet : "Vivre ensemble, et laïcité ? Le lien n'est pas si évident. On peut vivre ensemble dans des pays non laïcs, où la Bible est la référence. À un débat récent à Cergy devant des jeunes, on montrait un film avec des jeunes de quartiers qui jouaient au foot ensemble, faisaient des projets ensemble… C'est le cas aussi en Iran, qui n'est pas un pays laïc !

La laïcité est émancipatrice, mais exigeante. Une resucée de SOS-Racisme, ce serait rester à la surface des choses.

L'École de la Deuxième Chance a un règlement intérieur, avec les 4 L : les Lois de la République, des Limites entre nous, les Lieux de travail, le Langage : on résout les problèmes en se parlant.

Une des Limites : l'interdiction d'un couvre-chef. Nous pensons aux employeurs qui peuvent venir chercher des futurs salariés. Le voile n'a pas sa place, on le dit dès le départ.

Si ça pose trop de problèmes… c'est une question de choix de vie : si on veut se lancer dans un projet professionnel avec le maximum d'ouvertures possibles, ou pas.

Ça ne passe pas toujours simplement, mais c'est respecté. Les gens qui sont voilés à l'extérieur, enlèvent leur voile en entrant.

On a travaillé sur un module "Citoyenneté et République" avec des chercheurs de Paris XIII. Un cycle de visite avec l'Institut du Monde Arabe, la Basilique Saint-Denis, le Panthéon… Et on cherche ensemble ce qui fait socle : évidemment, les valeurs de la République.

Les ennemis de la laïcité touchent une part de la jeunesse bien plus grande que nous ! Une fois que ces idées se mettent en place, c'est très difficile à détricoter pour mettre en place quelque chose de positif.

La minute de silence apr!s les attentants contre Charlie, on a compris que ça serait un peu difficile. On a dû travailler avec les éducateurs : que signifie, "je suis Charlie", l'identification à la victime, "nous sommes tous des Juifs allemands",… même si on n'est pas lecteurs de Charlie Hebdo ? Les jeunes comprennent.

Mais quand on a à déconstruire des idées radicales, par exemple "vous êtes exclus parce que vous êtes des musulmans, la France n'aime pas la différence", là c'est plus compliqué.

Ce canevas, il faut le détricoter… Ça nécessite de former les gens qui interviennent auprès des jeunes. C'est trop flou ! Plein de gens très bien, d'éducateurs, sont un peu relativistes, croient un peu au discours victimaire, ils confondent la discrimination envers certains quartiers, avec …

Quand des jeunes tombent sur des animateurs BAFA qui n'ont pas les idées claires là-dessus !

Un éducateur de la jeunesse porte la République en soi ! Toute personne qui intervient auprès des jeunes est garante de la République. Là-dessus, on perd du terrain.

Les jeunes attendent des adultes qui se comportent en adultes, pas comme des anciens jeunes. On ne se souvient que des gens exigeants, jamais des démagogues.

Cette laïcité, on peut la faire vivre par des expériences en commun. Les coopératives ; les projets à l'étranger, par exemple, à l'École de la Deuxième Chance, un voyage au Québec : apprendre à distinguer la vie privée, intime, de ce qui relève de l'École (donc sans voile)…

À Cergy, des jeunes veulent collecter des vêtements pour les réfugiés. Bonne idée. À qui les remet-on ? Un collectif[2]. Très bien, mais ce n'est pas une ONG. Quelle ONG sera derrière ? Il se trouve que c'était Barakacity. Il y a eu des débats âpres. C'était il y a un an. Voyons ça, on ne les connaît pas. Un intervenant nous dit 'tu es à côté de la plaque, pourquoi ils ne créeraient pas des ONG comme d'autres en ont créé…'. On regarde leur site internet : c'est terrible. Je ne comprends pas qu'on ait un doute. Pas de photos de femmes, des reportages… édifiants, cousus dans le verbiage de Tariq Ramadan, toujours est-il que quand même voilà.

Réunion avec les jeunes : vous voyez qu'il y a un problème, pour l'E2C, une ONG qui n'envoie pas de femmes en mission (?), qui instrumentalise une aide humanitaire, même de bonne foi… On a le droit de ne pas être sur les mêmes valeurs !

Si on lâche là-dessus… 'tout est relatif' ! Il faut élever le niveau !

On m'accuse d'être contre l'enseignement de la religion à l'école : au contraire ! On me dit que pour moi la croyance n'a pas sa place à l'école : bien sûr ! La religion n'est pas la croyance."

Céline Rigo : "j'aurais pu reprendre l'essentiel de ce qu'a dit mon voisin, je vais essayer de dire autre chose.

La lutte de l'UNSA est contre le financement de l'école privée, contre le concordat en Alsace-Moselle et l'enseignement religieux en Alsace-Moselle…

J'essaye d'expliquer la laïcité à mes collègues. Ça nécessite beaucoup de solidité.

En janvier 2015, certains élèves dans certains établissements ont refusé de faire la minute de silence … Certains enseignants aussi, on n'en a pas beaucoup parlé ! Certains n'étaient pas au clair sur les raisons de cette minute de silence. On a le droit d'avoir des doutes, mais un enseignant à l'école publique n'est pas là à titre personnel.

La façon dont ça a été présenté dans les médias était caricaturale : dans beaucoup d'endroits, les enseignants ont réussi à parler à leurs élèves. Mais dans certains établissements, c'était couru d'avance, les enseignants souffraient depuis des années de ne pouvoir communiquer les valeurs de la République ! Les enseignants sont contestés fréquemment par leurs élèves sur toutes sortes de sujets. Ça fait partie de leur métier, faire évoluer la réflexion de leurs élèves.

Vous vous souvenez du massacre d'Utøya en Norvège, le Premier Ministre avait voulu répondre au terrorisme par plus de démocratie et d'ouverture.

En France, on organise des formations pour lutter contre les théories du complot… qui étaient là depuis bien avant les attentats de 2015 ! Je suis frappée par la lourdeur de l'Éducation Nationale.

Les valeurs ne doivent pas être seulement enseignées, elles doivent être pratiquées. Enseigner des valeurs — je suis donc aussi professeur d'éducation civique — pose problème quand les principes qu'on enseigne sont balayés par la réalité !

87% des Français se déclarent favorables à la laïcité à l'école, selon un sondage commandé par le Comité National d'Action Laïque, le CNAL, dont je suis secrétaire générale. Mais quel contenu les uns et les autres donnent-ils à la "laïcité" ? Pour nos collègues enseignants, ce n'est pas une évidence à comprendre et à porter.

La laïcité dans l'école date des lois Jules Ferry, bien avant la loi de séparation de 1905. Les lois imposent la neutralité des personnels, des locaux, des enseignants… Notre syndicat a décidé de former ses adhérents à la laïcité, toute l'année 2015 : l'égalité entre filles et garçons, la liberté de conscience, la liberté d'expression … Nous avons publié un fascicule, téléchargeable.

On ne choisit pas entre Bianco et Glavany, ils sont tous au CNAL !

Vous avez peut-être entendu parler des formations de "référents laïcité" ? J'en connais très peu de formés ! Parce que l'Éducation Nationale est une grosse machine.

La loi de 2004 a eu un effet d'apaisement, des questions se posent toujours. On parle des élèves, des questions se posent sur l'université. Des lycées accueillent des adultes en GRETA, ils ne sont pas interdits de signes religieux. Les sorties scolaires : faut-il autoriser des personnes porteuses de signes religieux ? Il est important qu'on puisse en discuter. De tous les obstacles qui peuvent empêcher l'école de mener à bien ses missions.

On enseigne à l'école "le fait religieux" (et pas la religion !), la "morale laïque"… On peut en discuter !

Catherine Kintzler, philosophe, voit dans l'école "un endroit où on fait un pas au-delà de la simple tolérance ; où le doute est non seulement permis, mais requis. Où on permet aux élèves de n'avoir à faire qu'à leur propre pensée."

Laurence Marchand : Jean-Michel Quillardet devait intervenir sur la "morale laïque", malheureusement il est malade de même que Gérard Delfau.

Georges Sérignac, Grand Orient de France, sur "le rôle Grand Orient de France dans le Vivre-Ensemble."

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"Derrière ce fameux 'vivre ensemble' se cachent des conceptions de la société, fondamentalement différentes.

Pour certains, c'est la common life anglo-saxonne, la paix civile.

Au profit des plus forts, des plus riches, des plus nombreux, des privilégiés de naissance ou d'allégeance ?

Ou un totalitarisme égalitaire qui oblige les différences à se cacher ?

Ou le rassemblement de tous les citoyens sur un projet partagé — la laïcité à la française. S'accepter et s'enrichir grâce à nos différences. Ce qui sera mon propos.

Elle ajoute à la sécularisation de la société, une dimension démocrate et émancipatrice. Ce qui explique la parenté de l'idéal maçonnique et du projet républicain.

Le Grand Orient de France rejette le dogme, ne considère aucune autorité comme absolue."

L'orateur poursuit avec une histoire de la maçonnerie, "depuis toujours la rencontre d'individus autour d'un idéal humaniste et fraternel".

"C'est un lieu où il peut y avoir des positions très dissemblables, comme ce soir à cette tribune. Espace de liberté et contre-pouvoir face aux autorités dominantes, subversive dans une société d'ordres, puisqu'elle acceptait aussi bien des nobles que des roturiers."

(…) "Certains n'ont toujours pas renoncé à prendre leur revanche sur la laïcité, souvenons-nous des cléricaux de 1905. La sauvegarde et l'application de la laïcité républicaine à la française sont essentielles. Le Grand Orient a été très actif pour défendre la loi de séparation, l'égalité hommes-femmes, et contre l'exclusion."

"Que par-delà le vivre ensemble, notre société soit celle du partage."

Patrick Molinoz, vice-président de l'AMF, salue la présence dans la salle de Pascal-Éric Lalmy du Parti Radical de Gauche, "même si je ne suis pas là au titre de cette organisation".

"L'Association des Maires de France a produit ce vade-mecum 'Laïcité', que je remets ici à Monsieur le Maire qui l'a déjà… L'AMF est la seule association d'élus à fonctionner de façon paritaire droite-gauche. Le groupe de travail laïcité est coprésidé par le maire ex-UMP de Châlon-sur-Saône… notre travail est consensuel, avec l'avantage et l'inconvénient.

François Baroin et André Laignel ont décidé en novembre 2014, j'insiste sur cette date, de recréer un groupe de travail sur la laïcité.

Il y a de l'islamophobie en France, il y a du racisme,"

(Quelqu'un dans la salle : non ! il n'y a pas d'islamophobie en France ! — la première interruption de la soirée.)

"Vous avez le droit d'avoir votre opinion, j'ai le droit d'avoir la mienne. Je partage la première intervention (d'Isabelle Kersimon), mais on ne peut pas non plus dire que tout va bien et qu'on a toujours respecté toutes les différences… justement non ! Parce que la laïcité n'est pas suffisamment respectée et comprise.

On a auditionné les acteurs, les quatre grands cultes, on a relu la loi, la loi première qui est celle de 1905, la jurisprudence, et on a émis des recommandations, pour que les Maires ne se mettent pas en porte-à-faux par rapport au principe de laïcité et à la loi.

Sur le principe tout le monde est d'accord, mais c'est dans le détail que les choses peuvent être compliquées.

Je ne dis pas qu'il faut faire du clientélisme ou du communautarisme.

La laïcité est une condition pour que liberté, égalité, fraternité puissent exister.

Le principal écueil dans notre pays, pour la laïcité, c'est de savoir ce qu'elle est et de le faire savoir.

L'inculture vis-à-vis du principe de laïcité est abyssale, y compris dans les médias. Des contresens phénoménaux, exploités par les intégristes religieux de tous bords, qui ont tous le même intérêt. C'est d'abord et essentiellement un principe de concorde.

Kintzler, sans doute la meilleure philosophe sur le sujet (et qui gagne donc au concours des citations ce soir !), y voit un 'temps suspendu où notre personnalité s'exprime'. L'école en l'occurrence. Tandis que, dans l'espace public, les signes religieux sont possibles, ça ne posera problème qu'à un laïc qui dévoie la laïcité en outil antireligieux, mais celui-là n'est déjà plus un laïc.

L'anticléricalisme, ce n'est pas le "bouffeur de curés" ou d'imams aujourd'hui, c'est le refus que la religion s'ingère dans l'organisation de la vie sociale : le rejet du cléricalisme.

Des partis politiques se prétendent laïcs, le FN ainsi, en voyant dans la France un pays chrétien catholique ! C'est utiliser la laïcité contre l'islam.

Il y a dans les religions des gens qui voudraient que leur religion soit l'unique. Une partie trop importante des croyants. Ceux-là sont extrêmement dérangés par le principe que le génie français a inventé, et qui permet à chacun de coexister.

La réaction la plus vite qu'on ait eu suite à la publication de notre guide, venait des réseaux catholiques intégristes. Car on avait écrit que mettre une crèche avec le petit Jésus dans une Mairie, était contraire à la loi de 1905. M. Ménard à Béziers a décidé d'en mettre une. Des associations l'ont attaqué devant les tribunaux, qui ont donné tort à M. Ménard. Mais on s'st aperçu qu'il y en avait une au Conseil Général de Vendée. Là, le tribunal a accepté. Nous avons demandé que la règlementation soit clarifiée. C'était un mois avant Noël et en plein campagne des Régionales ! Ceux qui étaient confrontés au FN en PACA, dans le Nord, ont lancé une pétition demandant le retrait de ce guide, insulte à nos traditions !

150 parlementaires, tous Républicains, enfin, ex-UMP, ont signé cette pétition, mais François Baroin a tenu bon. Insultes, centaines de mails, pas menaces de mort mais quasi… du sérieux quoi. Ça illustre bien que des gens dans notre pays ne sont pas tout à fait à l'aise avec la laïcité. Ceux qui veulent une France blanche catholique, évidemment, on les enquiquine.

On fait oeuvre utile, avec l'AMF, ou quand on est chercheur, enseignant, pour défendre ce principe qui fait notre exception dans le monde, coeur battant de la République, à défendre ardemment. Ceux qui nous ont attaqué en janvier ou en novembre n'attaquaient pas parce que nous bombardions en Syrie, mais ils attaquaient, c'est mon avis, les valeurs républicaines."

(Dans le public, un grognement de désaccord. "Pas les valeurs".)

"L'objectif de ceux qui nous ont attaqués est de remettre en cause le modèle républicain du vivre ensemble. Comme on l'a vu à Ajaccio : attaques inacceptables contre des policiers, attaques en représailles teintées de racisme…

Un modèle qui montre au monde que catholiques, athées, musulmans, témoins de Jéhovah… on peut vivre ensemble en bonne intelligence.

L'AMF va continuer son travail sur le cas de l'Alsace-Moselle, de l'outremer, où la République indivisible a des pratiques différentes !

C'est très bien d'avoir une Charte affichée à l'entrée dans les écoles, ça ne me semble pas suffisant".


Question posée par "Samira", sur "la dernière intervention, qui me choque. Vous dites que l'islamophobie existe ? Pour moi c'est une invention propagandiste des islamistes. J'ai vécu dans une banlieue, j'ai vu la montée de l'islamisme. Les intégristes sont créatifs, dans toutes les religions. Il faut démonter le complotisme. On peut parler d'un racisme anti-musulmans dans oublier de dire que les musulmans sont racistes entre eux, et homophobes, sexistes et misogynes.

Deuxième point, M. Poulet dit que le voile peut être un choix, c'est grave ce que j'entends aujourd'hui. Le voile n'est pas prescrit par le Coran. Je ne pense pas que c'est un choix. Pourquoi uniquement les femmes ? C'est sexiste, misogyne et teinté de sang. Ça n'existait pas quand j'étais enfant. Je ne vais plus en banlieue, aujourd'hui, ne pas porter le voile est une exception. Ma soeur qui a été en banlieue, on lui a fait comprendre que ce serait bien de ne pas embrasser le père de son enfant… On arrive à des injonctions ! Discuter sur le voilement, non, non, c'est un symbole d'asservissement, d'inégalité, on présente les femmes comme un être impur !"

(Un homme dans le public : "C'est le contraire").

Patrick Molinoz : "Le racisme, comme la bêtise, est un des trucs les mieux partagés au monde."

Un participant, "délégué départemental de l'Éducation Nationale" : "pour rejoindre certaines choses qui ont été dites : Mme la Ministre a pondu, après les événements du mois de janvier, la "Réserve citoyenne" et la "Charte de la Laïcité", qu'on a demandé aux parents de signer, et qui est placardée dans les couloirs. Qu'est-ce que ça veut dire ? La Réserve citoyenne, où toute personne peut se porter candidat, nous sommes ambassadeurs auprès des écoles… je suis tenté de devenir un ambassadeur, mais de quelle laïcité parlerai-je, si on est en situation de conflit direct, sur des problèmes complexes et difficiles ?" (Allusion explicite au conflit entre le Premier Ministre et l'Observatoire de la Laïcité).

Patrick Molinoz : "J'essaye de voir le verre à moitié plein, de dire qu'il y a quelque chose qui se fait."

"Je considère que l'Observatoire ne se comporte pas bien, en disant qu'il n'y a pas de problème de laïcité en France, que le Président devrait reconnaître qu'il a fait des erreurs. On n'a pas le droit, comme secrétaire général d'une institution, d'écrire comme l'a fait (Nicolas) Cadène, que des accommodements avec le principe de laïcité sont acceptables."

"Marianne a fait tout un dossier sur la laïcité, que je trouve très bien. Ça rappelle aussi l'époque pétrie de bonnes intentions de SOS-Racisme…"

(Quelqu'un dans le public : il faut arrêter de trouver des excuses ! Un certain nombre d'élus traficote avec tout ça ! Il faut en parler avec M. Doucet !)

(Départ de MM. Molinoz et Mothron)

Participant dans le public : "une question à l'institutrice… l'enseignante… Moi qui ai une femme voilée… Pour les sorties scolaires, vous n'avez pas ces mamans-là, vous ne sortez pas ! Pas de sortie ! Il n'y a qu'elles qui participent ! Allez-y, répondez-moi à votre question… Votre cinéma, moi je le connais ! Madame la journaliste, j'aime la République et la laïcité, c'est pas pour autant que je ne suis pas un bon musulman."

Céline Rigo : "vous m'attribuez des propos que je n'ai pas tenus. J'ai dit qu'il y a un débat sur le sujet. Ça concerne toutes les religions… La neutralité de l'école ne concerne d'ailleurs pas que la religion, des gens avec un T-shirt "j'aime Marine Le Pen" on ne les prendrait pas non plus ! Quand on fait une sortie scolaire, c'est l'école qui sort de ses murs, avec son obligation de neutralité. J'ai un vrai problème avec la position qu'a prise la Ministre selon laquelle 'on prend tous les accompagnateurs, même voilés, sauf ceux qui poseraient problème'. J'aurais préféré le raisonnement opposé : 'on ne prend pas de personnes voilées, sauf une personne qu'on connaît bien comme (…)'. L'enseignant a la responsabilité de s'assurer que la personne qui participera à la sortie scolaire garantira la neutralité."

(Applaudissements)

Le même participant "Radicalisation ? On est tous des terroristes pour vous ?"

Un participant : "l'islamophobie c'st la peur de l'islam, non la haine. Je suis islamophobe, christianophobe, judéophobe, je considère l'homme au-dessus des dieux qu'il s'est inventés."

Le participant "Il y a trois bains dangereux dans les quartiers : la mafia, l'islamisme et l'alliance des deux. Séduisons ces jeunes avant que la mafia ou les islamistes ne les séduisent. Pour ça il faut des gens comme moi qui parlent de laïcité. Je viens des quartiers, j'ai fait beaucoup de choses dans l'associatif. Je voudrais une laïcité populaire, comme en 1905 où toute la France est montée au créneau pour contrer le pouvoir de l'Église (sic)"

"Nasser Doudi, militant associatif sur Argenteuil" : "je tiens à vous remercier pour la richesse du débat. Il y a un mois, un débat sur la laïcité, j'ai été voir le député, qu'est-ce qu'il racontait sur la laïcité : un peu comme ici. On n'a pas tous exactement la même définition. Il y a des confusions sciemment entretenues.

Je pense qu'il y a une islamophobie, qui est en train de se structurer dans le langage, dans le débat politique, et j'espère bientôt, juridiquement. Comme citoyen, je ressens cette islamophobie, ça existe, des experts travaillent sur ce sujet, il va s'établir dans les années qui suivent. Ça n'est pas que la France est contre les musulmans, non ; n'acceptons pas que des autorités lointaines définissent les termes de notre propre débat.

L'École de la Deuxième Chance n'accueille pas de femmes voilées à l'intérieur de l'école. Et vous allez parler de liberté de parole. Vous vous bloquez avec une association, que vous dites de tendance islamiste… Il faut définir les mots… Laissez la liberté des gens. Les mamans qui veulent participer au projet éducatif de l'école, laissez-les participer."

Marie-José Cayzac : "Ce concept de laïcité, aujourd'hui, comment est-il appliqué ? La puissance publique continue à financer les crèches juives, les aides facultatives aux écoles privées… la gauche ou la droite ! Un Ministre vient inaugurer une mosquée, les édiles de cette ville vont parler dans les églises et les mosquées, une élue porte le voile dans ce Conseil Municipal… Tant que les politiques n'aborderont pas ces problèmes,…"


C'est ici que la batterie m'a lâché ;-) mais à près de 23h, cette intervention a été la dernière, Laurence Marchand concluant ensuite la soirée.

Un 'verre de l'amitié' dans le hall de l'Hôtel de Ville m'a donné l'occasion de signaler à Isabelle Kersimon cette excellente étude "Discriminations religieuses à l’embauche : une réalité" de l'Institut Montaigne, qui la conduirait certainement, ainsi que Jean-Christophe Poulet, à corriger une affirmation sur l'inexistence de cette discrimination. Pour lutter contre les mythes du "grand complot" contre les musulmans, le premier pas est de reconnaître les faits que ces mythes prétendent expliquer.

Un autre participant, partisan de plus de visibilité des cultures religieuses dans l'espace public, m'a dit trouver étouffante, à la limite de la dictature, la conception de la laïcité qui était présentée à la tribune.

D'autres participants étaient plutôt rassurés par la tonalité générale des discussions.

La façon dont le public a participé — silence complet de 20h30 à 22h, interventions vives et très émotionnelles ensuite — me semble attester de l'importance cruciale, existentielle, du sujet dans notre société argenteuillaise. Je souhaite donc continuer à travailler sur la question. En espérant que la laïcité soit de moins en moins utilisée comme argumentaire contre les motivations religieuses ; et que de plus en plus, elle catalyse la diversité française, assurant aux athées comme aux intégristes le droit à l'expression et le respect de leurs convictions. Comme de leurs doutes, cela a été très bien rappelé ce soir.

Notes

[1] Correction 15 fév. 2016 : J'avais entendu et noté ici : XVIIème. Un camarade présent corrige "VIIème", cette source OCI à l'appui.

[2] Correction à la demande de l'intervenant. 10 février 2016.

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