"États généraux de la banlieue" : des sujets brûlants le 4 mars 2017 à Argenteuil

par Bernard Rols et Pierre Belot

Le député et candidat Philippe Doucet invitait ce samedi 4 mars à l'Agora, boulevard Leclerc, à discuter de la situation de nos banlieues avec une douzaine de personnalités. Il a ouvert les débats en considérant que 2 sujets n'ont pas été encore creusés :

  • l’un concerne les inégalités, les discriminations ethniques et sociales,
  • l’autre concerne notre histoire commune : allusion au voyage d’Emmanuel Macron en Algérie et à sa déclaration sur la colonisation crime contre l’humanité.

Philippe Doucet pense que nous ne sommes pas encore sortis du colonialisme.

Certains considéreraient, dit-il, qu’il y a 2 sortes de français : ceux de souche (droit du sang) et ceux naturalisés (droit du sol).

Un sondage IFOP / Le Figaro de mars 2017 est alors commenté ; l’enquête donne le regard des Français (ou celui d'un panel habituel) sur la situation dans les banlieues.

Nous résumons les résultats essentiels de ce sondage :

Le niveau de violence en banlieue serait particulièrement élevé par rapport à la violence dans le pays : OUI selon 36 %.

Quels seraient les facteurs explicatifs de cette violence ?

  • les trafics de drogue : 52 %
  • la démission des parents : 30 %
  • le chômage des jeunes : 27 %
  • l’importance de la population immigrée : 25 %

Quel est le potentiel des banlieues ?

  • la banlieue regorge de talents divers : OUI 74 %
  • les banlieues sont des territoires perdus de la République : OUI 58 %

La justice pénale des mineurs : réformer l’ordonnance de 1945 ? 61 % se prononcent pour abaisser la majorité pénale à 16 ans.

Quelles sont les mesures prioritaires à prendre ?

  • 50 % sont pour la présence d’éducateurs,
  • 45 % pour un renforcement des forces de police,
  • 38 % pour la rénovation de l’habitat (sortir des grands ensembles),
  • 25 % pour des professeurs expérimentés.

Les débats sont ouverts avec les invités.

Didier Lapeyronnie, sociologue : auteur de Ghetto urbain – ségrégation, violence, pauvreté en France aujourd’hui, commence par une vision politique des territoires perdus : les gens qui y habitent vivent hors de la communauté nationale.

Il décrit ensuite l’évolution des banlieues depuis 15 ans et plus particulièrement depuis la crise de 2008. La dégradation est extrêmement marquée. Il constate une dislocation et un appauvrissement général. "Décrochage" d'une partie de la population. Accroissement de la pauvreté depuis 2008.

Beaucoup d’inégalités entre les quartiers. On en arrive même à la « culture » de la pauvreté (repli sur soi, famille, clientélisme, hostilité envers les politiques, débrouille). Il conclut par la quasi-sécession de ces quartiers difficiles avec le reste du pays.

Olivier Galland, sociologue : auteur de Comment la France divise sa jeunesse, ne croit pas à la thèse de la « génération sacrifiée », car le niveau de vie a toujours augmenté pour les personnes nées entre 1901 et 1974. Le niveau de vie continue de progresser de générations en générations.

En revanche, Olivier Galland constate qu’il y a 2 jeunesses.

Par exemple, l’écart de chances pour obtenir un emploi s’accroît entre les jeunes diplômés et ceux sans aucun diplôme, soit un jeune sur 5 : 3 ans après la sortie du système scolaire ou universitaire, 1 diplômé sur 10 est sans emploi alors que la proportion passe à 1 sur 2 parmi les non diplômés.

Olivier Galland met en cause notre système scolaire. D’abord, l’élitisme (grandes écoles) et l’exigence d’égalité (mêmes programmes scolaires et même méthode pour tous) aboutissent pour lui à un échec. Il faudrait avoir un traitement différencié de l’échec scolaire. Il préconise la qualité de l’enseignement : nous avons une conception trop académique de cet enseignement. Des manquements sur la formation des enseignants, sur la pédagogie pour enseigner.

Enfin, il remet en cause le marché actuel du travail. Il oppose le statut protégé pour les anciens, à la précarisation des jeunes. Il faut une flexibilité mais elle est actuellement concentrée sur les jeunes ! Il devrait y avoir au contraire un partage intergénérationnel.

Les emplois d'avenir ne sont pas adaptés à l'intégration dans le secteur privé.

Sabine Choquet, anthropologue spécialiste des questions de multiculturalisme : l'État n'est pas meilleur que le privé sur la question des discriminations. Les personnes issues des quartiers populaires sont discriminées.

Sabine Choquet pense que la classification de certains quartiers en Zone d’Education Prioritaire (ZEP), c'est-à-dire vouloir donner plus à ceux qui ont moins, a eu l’effet contraire à l’effet souhaité. Beaucoup de parents ont retiré leurs enfants des écoles publiques en ZEP pour des écoles privées, ce qui a immanquablement aggravé la situation des ZEP. On oriente trop souvent les jeunes issus de familles défavorisées vers des études courtes.

La politique multiculturelle du Canada consiste à favoriser la représentation des étrangers.

Elle considère qu'en France, l’intégration est à la charge de la personne discriminée et non l’inverse. C'est une anti-discrimination. Mais l'intégration est une opération réciproque. Le corps social doit être accueillant !

Banlieue signifie mise au ban. Cette discrimination a produit beaucoup de haine, de colère, d’impuissance. On ne parle pas assez de la lutte contre la discrimination dans la société.

Question du public : Les territoires perdus de la République, quand les retrouve-t-on ?

En vrac parmi les réponses : - Des exemples d'incompréhensions : "j'ai traversé l'alcootest des États-Unis" ou "il faut révéler tous ces talons"… - Le président de Paris XIII : beaucoup de belles réussites. Incubateur d'entreprises. - Les statistiques ethniques sont possibles en France ! Car le recensement donne accès au lieu de naissance ainsi qu'à celui des parents. - Au Canada, les étrangers sont souvent catalogués comme "minorité visible". Quand on interroge ces étrangers, ils revendiquent plutôt le droit à l'invisibilité !

Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable : la société française construit le problème de la banlieue.

Je suis petit fille d'immigrés (italiens). Difficulté pour ma mère d'aller au lycée (au sens où ce n'était pas sa place).

Mettre l'accent sur la formation des professeurs.

Les grands ensembles sont mal conçus. Exemple : on en a mis là où pouvait passer la grue, même si c'est à 20 minutes à pied de la ligne de bus.

A Clichy, pas de CAF ni de commissariat.

À Nîmes, le ticket de bus est passé de 0,5 à 1,3 €.

Propos d'élu : "il ne faut pas mélanger les riches et les pauvres. Les pauvres seront mal à l'aise dans les beaux quartiers".

Il a été dit à Najat Vallaud-Belkacem : "Vous travaillez pour les Français ou pour les gens comme vous ?"

Philippe Doucet rapporte que Valeurs actuelles a sorti un numéro avec NVB en couverture. Mais dans l'article le titre n'avait retenu que Najat Belkacem.

Najat Vallaud-Belkacem : On entend trop souvent un discours décliniste ou identitaire. Je sillonne beaucoup la France, et j'y rencontre plus de solidarité que dans bien des discours de chaînes d'info en continu ou d'irresponsables politiques.

En arrivant au ministère, j'ai pu découvrir dans les archives les pratiques de la droite. Non seulement elle a supprimé 80.000 postes, mais beaucoup plus dans les quartiers populaires. C'est insupportable. Nous avons créé 60.000 postes sur ce quinquennat.

Mais faire les choses juste pour résoudre les problèmes, ça ne passe pas car ce n'est pas spectaculaire.

Le débat continue par des échanges cordiaux entre le public et Najat Vallaud-Belkacem venant présenter son livre et défendant sa réforme des collèges.

Quelques questions dans le public présent : par exemple les problèmes d’orientation post-bac. Une intervention d’une jeune femme voilée sur le refus, par la direction de l’école de son quartier, que des mères voilées participent à un atelier pâtisserie.

En ouverture du 2ème débat : Didier Daeninckx, écrivain qui s’est intéressé à la campagne des municipales à Béziers, intervient sur le thème : "Comment les idées du FN fragmentent la société".

Tout n'est pas ici… Philippe Doucet conclura tardivement les débats en précisant que ses 12 propositions sur la banlieue seront consultables sur son blog.

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