Conseil Municipal extraordinaire à Pau

"Mes chers collègues,

Je suis très sensible à votre présence. Nous avons voulu ce conseil extraordinaire, convoqué en quelques heures, pour que nous réfléchissions ensemble à la gravité des événements et que nous manifestions ensemble notre solidarité, notre émotion à l’égard des victimes, de leur famille et du très grand nombre de blessés qui sont la conséquence des attentats que Paris a connus hier soir. Je voudrais que nous débutions cette séance du conseil extraordinaire par une minute de silence pour penser à ceux qui sont victimes et à leurs proches.

(Minute de silence)

Au travers de cette séance du conseil municipal, c’est toute la ville qui s’exprime. Je recevrai à 18 heures les maires de l’agglomération qui seront tous là ou tous représentés. (…) Ce qui est visé, c’est notre pays et ce qu’il est dans ses profondeurs, c’est-à-dire amoureux de la liberté, défenseur de la liberté à travers le monde tout en ayant une certaine idée de la fraternité.

En face d’un tel assaut, évidemment tous nous ressentons en premier lieu un immense chagrin et comme une peur ; (…) il s'agissait d'un assaut planifié, concerté et dont le Président de la République a dit à juste titre que c’était une armée terroriste qui nous avait attaqués.

En face de cet assaut et de cette émotion, nous avons un certain nombre de responsabilités. La première est l’unité. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu que ce soit le conseil municipal tout entier, qui dans toutes ses sensibilités, soit réuni en urgence parce qu’il est des moments où les différences légitimes qui existent entre nous doivent s’effacer et même se conjuguer pour manifester la détermination qui doit être la nôtre. De ce point de vue, je remercie chacun d’entre vous et je vais demander tout à l’heure à chacun qui le souhaite de s’exprimer pour que ces sensibilités puissent se faire entendre. Je suis pour ma part reçu demain à 17 heures par le Président de la République pour que nous puissions échanger entre responsables de sensibilités politiques complémentaires du pays sur la situation.

La deuxième attitude qu’il est nécessaire de rappeler, c’est la solidité. Ce que les assaillants cherchent est pour moi parfaitement clair : premièrement, que le pays s’effondre, que toutes ses activités s’arrêtent et qu’il entre en décomposition. Ils cherchent une deuxième chose contre quoi je voudrais vous mettre en garde, qui est la guerre de religion. (…) Je propose que nous ayons comme ligne de conduite de ne leur donner satisfaction ni sur l’un ni sur l’autre. Je propose que la vie ne s’arrête pas et que nous assumions les rendez-vous que nous avons en prenant toutes les précautions nécessaires. (…)

La deuxième ligne de conduite que je voudrais fixer en votre nom, c’est que nous tous, fassions attention à ce que la colère, la rancoeur ne se laissent pas entraîner vers l’affrontement des religions. Hier soir, quand nous avons appris ces événements, j’étais dans le salon d’embarquement, parce que je devais faire une visite en Argentine. Dès que la délégation à laquelle je participais a appris que des événements étaient en train de se passer à Paris, et quand nous en avons su un tout petit peu plus sur la nature de ces événements, nous avons évidemment annulé notre voyage et les hôtesses qui étaient là se sont regroupées autour de nous, et elles pleuraient. Deux pleuraient parce que leur mari est policier, les deux autres pleuraient parce qu’elles appartenaient, l’une par le mariage, l’autre par la naissance, à la communauté musulmane. L’une d’entre elles est tombée en pleurant dans mes bras et a dit ceci : « Ma fille s’appelle Alia, mon fils s’appelle Nabil, quelle vie vont-ils avoir à partir de maintenant ? ». J’ai trouvé qu’il y avait là l’expression d’une femme, mère de famille, qui était - moins gravement que les autres - aussi une victime de ce qui s’était passé à Paris.

Notre communauté nationale est formée de gens de sensibilités différentes, d’origines différentes, de religions différentes, qui n’en sont pas moins, s’ils le souhaitent, des Français qui doivent être solidaires entre eux et qui n’oublient pas ce que veut dire le mot de « fraternité » qui est la devise de la République. Autant que possible dans cette ville, nous ferons attention à ne pas mélanger les assassins et les victimes. Autant que possible, nous ferons attention à ne pas oublier notre « concitoyenneté ». Nous sommes citoyens de la même cité. Nous ferons attention à ce que ne soient pas blessées les différentes sensibilités dans cette affaire-là. Cela ne veut pas dire qu’il y aura la moindre excuse, en tout cas de ma part, à l’égard de ceux qui sont les responsables de tout cela. Mais je tiens à ce que nous apparaissions comme défenseurs de cette communauté nationale que celui qui est sur le tableau derrière moi[1] a défendue voilà quatre siècles en expliquant que, précisément, c’était aux guerres de religion qu’il fallait mettre un terme. (…)

Nous avons enfin une troisième orientation à défendre. C’est une orientation de responsabilité pour chacun d’entre nous. Il n’y a pas que les préfets, les magistrats, les policiers, les membres du gouvernement, le Président de la République… Chacun d’entre nous, père et mère de famille, étudiant, personne âgée, nous avons chacun une responsabilité. Cette responsabilité est de deux ordres : la première, éviter que les dérives ne l’emportent. Dans les périodes de crise comme cela, le sang-froid des responsables et de chacun est très important. La deuxième responsabilité est qu’il faut ouvrir l’oeil, regarder ce qui se passe et ne pas hésiter à faire attention plus que d’autres fois. S’il y a des choses inquiétantes, il ne faut pas hésiter à les signaler. Comme vous le savez, ces comportements sont très souvent repérés. N’imaginons pas que la police peut tout faire ! On ne peut pas mettre un policier derrière chaque citoyen. En revanche, la responsabilité de chacun oblige à faire attention.

A ce prix - unité, solidarité, solidité et responsabilité en même temps -, je suis persuadé que notre pays et notre ville traverseront ce temps d’épreuve. Je ne peux pas vous dire que je crois que c’est une épreuve de courte durée, je crains que nous soyons entrés dans une ère nouvelle. Notre cité doit être dans ces circonstances exemplaire et je vous suis reconnaissant de participer chacun à votre place, vous qui êtes élus de la cité, à sa mobilisation et pour ainsi dire à la reconstruction que nous allons devoir initier du pays.

Je vous remercie."

(L'allocution intégrale de François Bayrou ce samedi 14 novembre ici)

Notes

[1] Représentant Henri IV.

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